François Ayroles travaille avec un gros feutre noir, ses traits sont nets et précis, pas de gris, peu d’ombre. La franche froideur du noir et du blanc, brut et sans ambages. Enfer Portatif n’est pas son premier ouvrage, preuve en est de sa maîtrise du découpage des scènes, sans fioriture. Tout est utile, tout est à lire et à regarder dans cet album au scénario peu commun.
Pierre est aveugle, Paul a les membres inutiles d’un tétraplégique. Paul est les yeux de Pierre, Pierre est le corps de Paul. Paul est teigneux, Paul est un peu benêt. Ils adorent se détester et les vacheries ordinaires sont leur lot commun. On dirait un vieux couple qui attend la mort de l’autre pour être débarrassé d’une moitié encombrante.
Jusqu’à ce que Pierre se trouve séparé de Paul. Jusqu’à ce que Paul se trouve séparé de Pierre. Un hasard de circonstances lié à une chasse aux pigeons quotidienne chez ces deux-là. Interpellés puis hébergé chez Barbara Casablanca et sa fille aveugle et tétraplégique. Après quelques moments vernis, le confort les fait grincer, ils s’enfuient et sont séparés.
C’est ensuite que nos présupposés basculent. Parce que ces deux-là se complètent comme le jour et la nuit, ils se manquent et ne pensent qu’à se retrouver. Sauf que leurs circonstances vitales sont un sacré obstacle aux retrouvailles. Mais comme disait la Mama : quand on veut on peut. Et ils en veulent ces deux-là.
Au-delà de la buddy-story, Enfer Portatif questionne sur les interactions sociales, le regard porté sur la marginalité, les comportements hors-normes et les personnalités atypiques. Paul et Pierre sont les deux facettes d’une humanité : tantôt absurde et naïve, tantôt cynique et désabusée, les opposer est inutile tant elles se complémentarisent.
Une lecture sombre à tendance morbide, humour noir et grinçant, épatant.
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