Réalisé par Pietro Marcello. France/Italie. Drame. 2h08 (Sortie le 18 octobre 2019). Avec Luca Marinelli, Jessica Cressy, Carlo Cecchi, Vincenzo Nemolato, Marco Leonardi, Denise Sardisco, Carmen Pommella et Autilia Ranieri.
Adapter pour le grand écran "Martin Eden" le chef d'oeuvre autobiographique de Jack London est un pari risqué. On est dans l'expectative sur le résultat final, d'autant plus quand on découvre que c'est Pietro Marcello, cinéaste esthète connu pour l'instant pour des documentaires empreints de poésie et assez abscons ("Bella e Perduta", "La Boca del Lupo"), qui s'y est collé. Il faut tout de suite rassurer les inquiets : pour son vrai passage à la fiction, Pietro Marcello réussit un quasi coup de maître. Il retrouve à la fois le souffle du livre et y ajoute son sens de l'image. Pour cela, il a fait un choix radical : ne pas reconstituer l'époque du roman... mais ne pas non plus le moderniser. Il a décidé habilement de monter des images réelles provenant du temps de London avec d'autres provenant des années 1960-70 et de situer les scènes reconstituées dans un temps non défini au cours du vingtième siècle.
Cela donne un sentiment parfois bizarre, pas loin de ce qu'un lecteur peut imaginer dans sa lecture d'un roman d'aventures dont il se projette mentalement les scènes avec forcément moult anachronismes et imprécisions sur les vêtements, le mobilier, les types sociaux ou ethniques. Pietro Marcello s'ajoute une liberté de plus puisqu'il situe l'action de son film à Naples et sa zone portuaire.
Ce "Martin Eden" transalpin, inscrit dans un réel italien, avec les somptueux décors aristocratiques de la famille Orsini et les chaumières misérables des banlieues de Naples, les réunions politiques anarchistes ou socialistes très début de siècle et les plans sur les bateaux en partance, ne choque pas. Tout au contraire.
Interprété par le charismatique Luca Marinelli, Martin Eden, prolétaire qui devient écrivain après avoir beaucoup lu et vécu, est un vrai héros paradoxal balloté entre ses origines et sa réussite.
Entre crises de mélancolie et colères, il se bâtit une existence hors du commun pouvant à la fois disserter sur la question politique, notamment sur ce que le socialisme est, n'est pas, sera ou ne sera pas, et se pencher poétiquement sur ce qu'aimer veut dire.
"Martin Eden" de Pietro Marcello renoue avec un cinéma italien un peu perdu. D'abord, on y sent une ambition rare dans un cinéma qui a oublié l'universel. On y lit également une soif de romanesque, une envie de créer de beaux personnages comme celui de Russ Brissenden, mentor et contradicteur de Martin.
On y retrouve aussi de "belles" italiennes avec d'un côté Jessica Cressy, diaphane comme une nouvelle Dominique Sanda, et de l'autre, Denise Sardisco, appétissante et pleine de vie comme l'était Stefania Sandrelli...
Bref, "Martin Eden" de Pietro Marcello est une adaptation réussie d'un grand livre, une fresque moderne qui permet à un cinéaste prometteur d'enfin sortir du bois et de donner le début de sa mesure. |