Spectacle conçu d'après les écrits de Vaslav Nijinski, mise en scène de Daniel San Pedro et Brigitte Lefevre, avec Clément Hervieu-Léger et Jean-Christophe Guerri.
Clément Hervieu-Léger, comédien pensionnaire de la Comédie française ayant été formé à la danse et professeur de théâtre à l’École de Danse de l’Opéra National de Paris, a été captivé et subjugué par les cahiers rédigés par le danseur Vaslav Nijinski, diagnostiqué comme atteint de "confusion mentale de nature schizophrène accompagnée d'une légère excitation maniaque", dans les semaines qui ont précédé un internement psychiatrique qui durera jusqu'à sa mort.
Avant de devenir "le danseur fou", Nijinski, comète du 5ème art, une décennie de carrière, a été sacré "Dieu de la danse" alors qu'il officiait au sein des Ballets russes qui l'ont révélé et ont révolutionné tant au plan technique qu'esthétique l'art chorégraphique.
Il entretient avec leur fondateur Serge Diaghilev une relation "socratique" passionnelle et névrotique dans laquelle il trouve peut-être un substitut perverti de la figure paternelle absente, dont la rupture, du fait de ce dernier suite au mariage contracté sous influence par Nijinski conjuguée à l'exclusion de la troupe, fait écrouler son univers et provoque une décompensation psychotique qui se traduit par un délire paranoïaque et une transe mystique.
Clément Hervieu-Léger analyse les écrits de Nijinski comme "un dernier geste de création artistique, un acte très fort et très beau, car il met tout l’homme et tout l’artiste dans ces pages" et un texte à la résonance toute particulière en ce que, pour lui, il évoque "la transcendance de l’artiste et celle de l’incarnation, à travers notamment un dialogue concret avec une entité, Dieu" ce qui l'a incité à les porter sur scène.
Plus concrètement et objectivement, nonobstant sa valeur testimoniale, la prose de Vaslav Nijinski, telle qu'elle résulte de la traduction littérale de Christian Dumais-Lvowski qui en révèle les faiblesses d'une instruction sommaire, est dépourvue de qualité tant littéraire que dramaturgique.
En effet, elle se compose de soliloques circulaires et répétitifs faisant état de sentiments confus et souvent contradictoires destinés, selon leur auteur, à être une "source d'enseignement pour l'humanité" délivrée par Dieu, auquel il s'identifie, détenteur de "la" vérité qui doit être dite alors qu'il n'exprime que "sa" vérité consistant en des récriminations envers ses proches notamment Diaghilev.
Des extraits de ces cahiers sont donc dispensés non pas sous la forme monologale généralement retenue pour ce genre d'exercice mais celle d'une création à la croisée du théâtre et de la danse dont l'intérêt repose donc, à défaut de n'être qu'n exercice de style, sur la capacité de ressenti du spectateur.
Clément Hervieu-Léger porte avec conviction la parole incarnée de Nijinski avec la participation de l'ancien danseur Jean-Christophe Guerri dans "Les Cahiers de Nijinski" sous la co-direction du comédien et metteur en scène Daniel San Pedro, avec qui il a créé la Compagnie des Petits Champs et de Brigitte Lefèvre, danseuse et chorégraphe qui fut directrice de la danse de l'Opéra national de Paris.
Sur un espace scénique conçu comme une rampe de skateboard pour évoquer un univers mental en déséquilibre et un beau travail de lumières de Bertrand Couderc, le corps et le verbe, mais de manière hybridée et perméable qui présente un couple en osmose, le danseur et son double, le démiurge et sa créature, la chair détruite et l'âme douloureuse, le visible et l'invisible, qui prolonge les mots par le geste et rend compte du caractère toujours troublant et sensible de la fragilité des esprits en perdition. |