"Singing in the rain"
Il fallait bien un jour pluvieux, et il fallait que cela soit le dernier, histoire de plomber moins l’ambiance que le moral. Le Cabaret vert, vu l’affluence des deux derniers jours, semble bien vide. On marche en bottes ou pieds nus, on saute dans les flaques, et les stands "spécialités ardennaises" ne désemplissent pas tellement il s’agit d’un temps à fromage fondu.
Malheureusement, on ne peut pas dire qu’Amélie MacCandless sauve l’ouverture déjà bien terne de ce dimanche. A multiplier les influences, même excellentes, on en oublie de se créer son identité musicale. De "Into the wild" pour le nom de scène à la reprise malhabile d’un titre d’Alela Diane, en passant par les nombreuses failles de justesse dans la voix, le petite Rémoise a encore du pain sur la planche – mettons sur le compte du stress une bonne partie de mes reproches, histoire de ne pas vexer ses nombreux fans.
Ah... Quoi de mieux que les Puts Marie sous ces gouttes de plomb pour bien, bien déprimer comme il faut. Je suis toujours aussi admirative devant ce groupe qui ne paie pas de mine, et aujourd’hui s’est placé loin, loin, au fond de la grande scène. Toujours sur la tangente musicale et morale, les Puts Marie n’ont rien à envier aux rockers qui défoncent leurs guitares sur scène : leurs show est tout aussi puissant, mais leur fond de commerce réside ailleurs, particulièrement dans l’allure poupée de chiffon et la voix éraillée de Max Usata, dans son regard lointain et perçant. Une valeur sûre pour les amateurs de spécial et de qualité.
Je ne dois pas être très bien lunée aujourd’hui, parce que Sens Unique ne passe à mes yeux que pour un énième groupe de rock français dispensant une énième parole maladroite. C’est musicalement calé sans être parfait, les textes sont travaillés mais inégaux, et c’est très convenu niveau scénique. Quant à la reprise de Stromae... Passons.
Il paraît que le concert de Kitty, Daisy & Lewis était excellent – même si, lors du premier quart d’heure auquel j’ai assisté, la foule semblait bien prostrée... Pas de photos, car pas de boîtier, pas de boîtier car trop de pluie, la logique négative semble être la même d’année en année pour moi. Dommage, car l’ambiance année 50 de la fratrie Durham m’aurait sans doute réconciliée avec la journée...
Tyler the Creator est sans doute ce que l’on fait de mieux en hip-hop en ce moment – notamment parce qu’il fait partie de la famille Odd Future. Une bête de scène en mode no limit, qui propose un set étourdissant et apprécié étant donné le peu de rap / hip-hop proposé durant ces quatre jours – à moins de traîner ses espadrilles à l’espace du Temps des cerises, bien entendu.
Il nous reste à boucler ce Cabaret vert avec M. Thiéfaine. Toujours aussi charismatique, toujours aussi inspirant, rien ne semble perturber le monstre sacré du rock mélancolique et poétique français, dont on apprécie la complicité saine avec ses musiciens et notamment ses guitaristes, Alice Botté et Lucas Thiéfaine. Show rôdé, setlist attendue, mais de petits détails qui feront de ce concert un moment bien particulier, lorsque le ciel bas et lourd s’illuminera d’un double arc-en-ciel en plein de milieu d’"Amour désaffectée" – "Les chevaux sont partis courir là bas au pied / De l'arc en ciel / Ils emportent le souvenir de nos baisers / Chargés de fiel"... Si le public s’est clairsemé ce dernier jour en raison de la pluie, quelque chose se passe parmi la foule, dont on entend le murmure enchanté, quand elle susurre les paroles de chaque titre de l’idole... On finit sans surprise par "La Fille du coupeur de joints", mais on applaudit à tout rompre en rechignant à prendre le chemin du retour.
Moralité : malgré une programmation qui m’a complètement laissée sur ma faim, en dépit de petites trouvailles éclatantes, le Cabaret vert reste mon festival de cœur, tant le naturel et la spontanéité de ses acteurs réconcilient avec la nature humaine. Mes remerciements sincères vont à Nicolas et Delphine, puis à ces photographes de mes amis qui savent être brillants sans pose ni mépris et mettre l’ambiance dans la fosse, enfin aux mâles de la sécurité qui sont les plus souriants et les plus compréhensifs de tous les festivals que j’ai pu faire. Si je sais déjà que la chaleur humaine sera encore au rendez-vous l’an prochain, j’espère que la programmation saura retrouver un allant qui a fait cruellement défaut lors de cette onzième édition... |