Monologue dramatique d'après le roman éponyme de Hervé Bazin interprété par Aurélien Houver dans une mise en scène de Victoria Ribeiro. Par sa structure diégétique, "Vipère au poing", un des romans phare de Hervé Bazin, se prête à la transposition théâtrale sous forme monologale et, illustration de la sentence nietzschéenne, "Ce qui ne me tue pas me rend plus fort", relate une enfance malheureuse qui sape les fondements de deux croyances sociétales à l'incroyable vivacité.
A savoir, l'amour maternel instinctif et la violence intrafamiliale souvent présentée comme un phénomène de classe, une sorte d'apanage zolacien de la classe plébéienne lié à la pauvreté, l'alcoolisme et la promiscuité sexuelle. Car Jean, le narrateur dit "Brasse Bouillon" en raison de sa propension à la révolte, est né dans un milieu privilégié et cependant, non seulement, dépourvu d'affection maternelle mais soumis à la violence destructrice de la mère.
Celle-ci surnommée "Folcoche", contraction de "folle" et "cochonne", ne se contente pas d'être une mère non aimante, qui se réfugierait, comme ses consoeurs, dans la neurasthénie ou la coquetterie, mais une femme qui, à travers son innocente progéniture, règle ses comptes avec son destin, celle d'une fille de la bourgeoisie aisée du 19ème siècle en quête de lignage aristocratique qui a subi un mariage arrangé avec un rejeton de petite noblesse provinciale de surcroît peu avenant et "chiffe molle".
Au désamour s'ajoute donc la maltraitance physique par des actes de privations et de violence, sous couvert d'éducation à la manière rigoriste luthérienne, et, également, psychologique par l'humiliation et la dévalorisation qui induisent chez ses victimes une haine absolue appelant la vengeance par la mort symbolique les lettres VF (Vengeance Folcoche) gravées sur les troncs d'arbre mais aussi de réelles tentatives de meurtre. Commençant par la métaphore fameuse du serpent de l'incipit du roman dont elle retrace fidèlement les événements majeurs, la partition en adresse au public conçue par Victoria Ribeiro, qui assure la direction d'acteur, et Aurélien Houver, au jeu, s'avère émérite en éclairant le traumatisme profond sans résilience* et la stratégie intuitive de préservation de l'intégrité psychique qui sauve le protagoniste de la désespérance, de la psychose ou du suicide, tout en illustrant le processus d’autoconstruction à partir de l'ambivalence du rapport à la mère dont la haine qui forge sa combativité. Dans le décor épuré de Fabrice Cany, un arbre stylisé symbole identificatoire du personnage, Aurélien Houver dispense avec maîtrise le récit rétrospectif - et introspectif - de l'enfant au seuil de sa vie d'adulte. Et il gère parfaitement le dramatique comme le sur-jeu tragi-comique des quelques scènes dialoguées qui permettent, comme dans l'oeuve originale, une judicieuse mise à distance.
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