Difficile de parler de Sam Coomes sans mentionner Quasi. Le duo rock indé que forme notre chroniqué avec Janet Weiss brille par ses compositions alambiquées aux accents pop, surprenantes et efficaces. Si Weiss emporte avec elle l’énergie rock de Quasi pour en faire du punk avec Sleater Kinney, il reste à Coomes l’écriture en solo de jolies ballades sur fonds d’instru expérimentales et minimalistes.
Bugger Me s’ouvre sur le rythme désuet de "Stride On" qui n’est pas sans rappeler une ambiance de vieux dancing abandonné (enfin personnellement ça me fait penser à ce que joue Esmeralda, "la folle au clavier", dans Edward Scissorhands). Le ton est donné : l’intégralité de l’album a été réalisée grâce à un orgue électronique et à Conny, une boîte à rythme qui a l’âge d’être ma maman, donc autant dire qu’on va en manger des sonorités loufoques venues du futur des années 60 !
Sans doute pour palier à ses moyens techniques un peu restreints, Coomes semble s’être beaucoup concentré sur la structure de son album et de ses morceaux. Ponctué de deux interludes robotiques ("The Tucchus" pt. 1 et pt. 2), Bugger Me comporte plusieurs titres en deux mouvements, à l’instar de l’halloweenesque "Tough Times in Plastic Land / Everybody Loves a War, de Cruisin’ Thru / Just Like the Rest", où l’on reconnaît la patte "rock" Quasi, et de "Shined It On / Lobotomy Eggs", mon préféré. Ce dernier morceau nage en plein cosmos, sur toute sa première partie, l’orgue lui confère une aura mystique qui sonne comme dans la nef d’une église. Puis dans un second temps la mélodie s’emporte sur des airs de grande musique populaire, on retrouve un peu du Switched-On Bach de Walter Carlos, mais sans le Moog, voire même de Human Sadness par Julian Casablancas and the Voidz.
L’oeuvre, selon moi, atteint son climax sur l’excellent "Fordona", à la froideur habitée, tout de suite suivi de "Corpse Rider", rêverie hallucinée et horrifique, strictement instrumentale, qui flirte presque avec le glitch art. Ces deux titres ont beau être indépendants ils se complètent aussi bien, si ce n’est mieux, que les autres diptyques de l’album. Un bémol, la chanson titre, "Bugger Me", introduite par la coupure de The Tucchus pt.2, n’apporte pas de point final au disque. Elle s’ouvre sur du vide et ne présente pas vraiment d’intérêt stylistique. "Bugger Me" élargit tout juste le spectre des sonorités exploitées jusque là, penche un peu plus la balance du côté expérimental, punk, mais ce n’est pas assez pour en faire un final satisfaisant, surtout après les deux titres susmentionnés en début de paragraphe. Il aurait fallu la placer autre part dans l’album.
Au final, Bugger Me est un premier album solo honnête et surprenant pour ce travailleur de l’ombre habitué aux BO de films et aux collaborations avec les grands noms du rock underground. En s’attaquant à l’électro, Sam Coomes nous prouve que l’on peut faire du neuf avec du vieux sans être taxé d’arnaqueur. La contrainte d’un équipement technique limité à deux instruments rend parfois l’album un peu long et contemplatif (les textures sont souvent les mêmes, la production est assez lisse), mais dans l’ensemble Coomes a rendu l’effort intéressant en se focalisant sur ce qu’il sait faire de mieux, les ambiances et les mélodies. Selon ses propres mots, l’artiste décrit son album comme la rencontre entre Suicide et les Beach Boys, c’est assez parlant et juste pour finir là-dessus.
Un printemps décidément capricieux mais quelques jours de beau temps avant un nouveau déluge. Ici c'est un déluge de musique, spectacles ou livres qui nous attend.
Pensez aussi à nous soutenir en suivant nos réseaux sociaux et nos chaînes YouTube et Twitch.