Comédie dramatique d'après le roman éponyme de Stefan Zweig, mise en scène de Stéphane Olivié-Bisson, avec Arnaud Denissel (ou Maxime Bailleul), David Salles (ou Roger Miremont), Elodie Menant, Jean-Charles Rieznikoff et Salima Glamine.
Il y a un mystère Zweig : ses romans, comme ses biographies, semblent défier le temps et continuent non seulement d'être lus mais aussi de faire l'objet d'adaptations pour l'écran et pour la scène.
Pas une année sans qu''"Amok", "24 heures dans la vie d'une femme", "Lettres d'une inconnue", "Le joueur d'échecs", etc... soient visitées ou revisitées.
C'est donc cette fois-ci à "La pitié dangereuse" que s'attaque Elodie Menant dans une mise en scène de Stéphane Olivié-Bisson.
Roman crépusculaire décrivant les derniers feux de l'Empire Austro-hongrois à quelques mois de la déflagration de 1914, "La pitié dangereuse" fournit à Zweig l'écriture de deux de ses plus beaux personnages, Edith Kekesfalva, jeune fille assoiffée de vie mais paralysée des jambes, et le lieutenant Anton Hofmiller, en attente d'héroïsme dans l'ennui de la vie de garnison.
La rencontre de cette "alouette" aux ailes brisées et de ce brillant officier emprisonné dans un code moral suranné sèmera cette confusion des sentiments, thème majeur de Zweig, qui nourrit drame et malheur.
"La pitié dangereuse" n'est pas a priori le roman de Zweig le plus facile à adapter sur scène. Elodie Menant, qui joue Edith avec une belle retenue fiévreuse, a cherché à suivre le canevas du roman.
Escortées par des musiques viennoises, les saynètes s'enchaînent au gré du déplacement sur le plateau d'un grand fauteuil à roulettes dans lequel se tient et se contient Edith, perdue dans son désir impossible. C'est une espèce de valse triste qu'orchestre Stéphane Olivié-Bisson, une valse plaintive perturbée par ses déchirements, ses appels au secours, par l'enchaînement fatal de cette pitié, de cette compassion dangereuse, que le beau militaire lui délivre apparemment sans arrière-pensée.
Costumes, lumières et musiques contribuent à rendre crédible cette plongée dans une avant-guerre qui jouerait à être une belle époque s'il n'y avait cette maladie qui ronge Edith comme une métaphore de la fin de l'Empire des Habsbourg.
Anton, confronté à cette impasse dans laquelle sa pitié le mène, est aussi désarmé que Drogo, le héros du "Désert des Tartares", dans la vaine attente des Tartares. On trouvera ici une correspondance très intéressante entre l'oeuvre de Zweig et celle de Buzzati, elle aussi récemment adaptée au théâtre par Xavier Jaillard.
Sans doute, il aurait fallu qu'Elodie Menant s'autorise à un peu moins de respect de Zweig pour aboutir à une fin plus radicale, plus théâtrale, plus enflammée. Elle n'a pas non plus choisi la demi-teinte qui pouvait donner à l'ensemble un petit ton tchékhovien.
Qu'importe, elle emporte le spectateur pendant une heure et demie dans le tourbillon romanesque d'un auteur qu'elle et ses camarades servent parfaitement. |