Comédie de de Eric Assous, mise en scène de Jean-Luc Moreau, avec Marie Anne Chazel et Sam Karmann.
Alexandre et Louise viennent de passer la nuit ensemble. Tous deux quinquagénaires, ils se sont rencontrés la veille. Il l'a raccompagné chez elle, est monté prendre un dernier verre.
Au matin, alors qu'Alexandre s'apprête à quitter le petit appartement sous les combles qui domine Paris, Louise cadenasse la porte et cache les clés pour l'empêcher de sortir. Elle a des questions à lui poser.
Eric Assous, auteur prolifique dont au moins une nouvelle pièce est montée chaque saison sur les planches des plus prestigieux théâtres de Paris, s'attaque à nouveau à son sujet de prédilection : décortiquer la manière dont se tisse et se rompt le lien amoureux dans le couple.
"Le bonheur" est découpé en saynètes qui correspondent à différentes étapes du début de cette relation entre Louise et Alexandre. Chacun des deux protagonistes arrivent avec son expérience et ses échecs amoureux précédents. Sa peur de l'engagement pour elle, sa peur de l'abandon pour lui. Aucun enfant pour elle, trois de son côté....
Dialoguiste brillant, aussi à l'aise dans la séduction que dans la remarque cinglante, Eric Assous parsème "le bonheur" de répliques écrites à fleuret moucheté. Les situations dans lesquelles il plonge ses personnages rappellent forcément à qui a déjà été amoureux des épisodes de rapprochement ou d'éloignement au sein du couple. Deux personnes qui cherchent leurs repères l'un par rapport à l'autre, deux personnes qui souhaitent s'engager sur le chemin du bonheur sans vraiment connaître la bonne direction.
Jean-Luc Moreau, partenaire habituel d'Assous à la mise en scène depuis 2007, utilise les coupures entre les saynètes pour relever d'un classique pop des années 70 ou 80 l‘évolution des rapports au sein du couple, soulignant ainsi par la même occasion l'âge des tourtereaux.
L'ensemble est dynamique, les répliques fusent, la gestuelle et le déplacement des acteurs sont d'une parfaite fluidité sur le plateau transformé en petit studio. Jean-Luc Moreau n'innove certes pas mais son sujet est parfaitement maîtrisé et il met toute sa connaissance de l'art de la mise en scène au service du texte.
Chaque déplacement est pertinent, autant parce qu'il renforce les échanges verbaux que parce qu'ils placent à chaque fois les acteurs à la distance adéquate l'un de l'autre pour que la réplique sonne juste.
Enfin, il y a les acteurs. Marie-Anne Chazel est revenue plus régulièrement au théâtre depuis 2000. Elle est rayonnante, toujours dans le ton, d'un naturel confondant dans le rôle de Louise, personnage extraverti parfois jusqu'à l'hystérie.
Quant à Sam Karmann, on l'observe trimballer d'un bout à l'autre de la scène sa longue silhouette, son air bougon et son crâne dégarni aux tempes grises d'un pas qui semble toujours pressé. Pourtant c'est lorsque Alexandre se fige, saisi par le doute ou la culpabilité, qu'il donne le meilleur de lui-même.
Malgré le ton léger de la comédie, la scène d'émotion qui clôt la pièce saisit les spectateurs, les deux acteurs parviennent alors à instiller un trouble jusque dans les derniers rangs.
"Le bonheur" est l'une des très bonnes pièces d'Eric Assous, au même titre que "L'illusion conjugale" ou "Les conjoints", texte pour lequel il avait été récompensé d'un Molière en 2010.
Fine observation du couple, cette comédie plus grinçante que son titre pourrait le laisser suggérer, mise en scène avec brio et servie par deux comédiens au meilleur de leur forme, est, à juste titre, très longuement applaudie. |