Comédie dramatique d'après le roman éponyme de Marguerite Duras, mise en scène de Lucas Bonnifait, avec Jean-Claude Bonnifait, Ava Hervier et Raouf Raïs.
Ernesto est un génie. On sait qu'il habite Vitry, avec ses parents arrivés en France tardivement, mais aussi avec sa soeur Jeanne et ses autres "brothers and sisters". Pourtant on ne sait pas son âge, peut-être onze, peut-être vingt ans.
Après seulement quelques jours passés à l'école, il ne veut plus y retourner car là-bas, discret au fond de la classe, on lui enseigne "des choses qu'il ne sait pas". Or c'est dans les livres, alors qu'on ne lui a jamais appris à lire, qu'il découvre le monde et même qu'il l'appréhende dans son intégralité.
Plus sa compréhension du monde s'affine, plus son désespoir grandit. Il est certes reconnu comme un génie, il comprend les mathématiques, la physique, a intégré tous les principes philosophiques, mais il sait intimement que le monde "ce n'est pas la peine", qu'il n'y a pas de Dieu et que chaque vivant n'est qu'un mort en sursis.
Marguerite Duras a écrit "La pluie d'été" vers la fin de sa vie. Malgré les réussites qu'on lui accorde dans la littérature, la place qui est la sienne parmi les intellectuels, elle décrit la soif de connaissance comme un but vain lorsque la mort approche, et quoiqu'il en soit un chemin qui n'amène nul bonheur.
Son personnage a certes la satisfaction d'avoir réussi par lui-même, mais il sait que c'est vanité que de s'en prévaloir et qu'il existe des voies plus douces pour traverser la vie.
Face à ce texte sombre, la mise en scène de Lucas Bonnifait cherche d'abord à provoquer le malaise en maltraitant les codes classiques du théâtre. Les sièges sont dressés autour d'un plateau carré nu. Les acteurs sont d'abord mêlés au public. Au début, ils ont le texte à la main. Le rôle d'Ernesto est joué tantôt par Jean-Claude Bonnifait, tantôt par Raouf Raïs. Quant à Ava Hervier, elle sera aussi bien la mère que la fille, et ce dans une même scène. Les acteurs s'assoient, jouent au milieu des spectateurs, sur les sièges vides, dans une proximité inhabituelle et même parfois dérangeante.
Certains spectateurs détournent les yeux, d'autres rient d'un rire provoqué par le malaise. Parfois les acteurs passent derrière les spectateurs, puis reviennent avec un accessoire, un couteau par exemple. Et même si ce couteau ne sert qu'à éplucher des pommes de terre, la présence de cette longue lame est déjà menaçante.
Cette mise en scène audacieuse est une des grandes réussite de l'adaptation du livre de Duras.
Portée par trois acteurs sobres et justes qui évoluent sur un plateau presque vide, avec un minimum d'effets de lumière ou de musique (diffusion d'une chanson du groupe Suicide), cette pièce parvient à instiller sa noirceur d'un monde décrit comme n'ayant pas de sens jusque dans le coeur du spectateur. |