Le Musée du Luxembourg reçoit une exposition consacrée à Henri Fantin-Latour, peintre dont le nom ne vient certainement pas spontanément, ni même après réflexion, à l'esprit du grand public quand est évoquée la peinture de la seconde moitié du 19ème siècle.
En effet, bien que contemporain de Degas, Manet, Courbet, Cézanne et Monet, il ne figure dans aucun des mouvements d'avant-garde et signe, selon un critique de l'époque, "une peinture qui ne fait pas de bruit" et peine à retenir l'attention.
Ce que confirme la monstration intitulée "Fantin-Latour - A fleur de peau", organisée par la Réunion des Musées Nationaux-Grand Palais et le Musée de Grenoble, en collaboration avec le Musée d’Orsay prêteur de la moitié des oeuvres présentées, conçue sous le triple commissariat de Laure Dalon, conservateur à la RMN, Xavier Rey, conservateur au Musée d’Orsay, et Guy Tosatto, directeur du Musée de Grenoble.
Elle se déploie selon un conventionnel parcours chronologique, toutefois dépourvu d'éclairage didactique, en sections au titre elliptique, tel "Ambitions et innovations", et un accrochage classique réalisé par Etienne Lefrançois et Emmanuelle Garcia.
Fantin-Latour, des bouquets de fleurs et des gens "peints comme des pots de fleurs"*
Bien qu'annoncée comme rétrospective, l'exposition constitue une monstration monographique, dès lors qu'a été volontairement, et fort peu logiquement, exclu une catégorie d'oeuvres, celle du portrait de commande, alors même que sont présentées, et comme fleurons du peintre, celles ressortant à la nature morte consistant essentiellement en des bouquets de fleurs qui sont au coeur d'une abondante production commerciale à destination de sa clientèle anglaise.
Formé par un père peintre portraitiste, puis élève à l'École des Beaux-arts, Fantin-Latour manifeste un vrai talent de copiste ("J'ai commencé par copier les maîtres, puis la vie"), de l'ambition ("Je veux faire des chefs d'oeuvre") et des limites "techniques" ("Je ne sais pas assez pour faire ce qui me plairait").
Aussi oeuvre-t-il essentiellement dans deux genres mineurs au regard de la hiérarchie picturale, le portrait et la nature morte, qui, au demeurant, auraient pu soutenir un propos plus dynamique sur le mode analogique pour tenter de décrypter une peinture en marge des tendances de son temps, bien qu'inscrite dans la veine ambiante du réalisme, sans verser dans une béatitude
hagiographique consistant à le qualifier d"'incarnation de l’artiste nouveau".
D'une précision de botaniste propre à enthousiasmer les amateurs de compositions florales, ses bouquets de fleurs frais et colorés, de facture décorative, pour d'aucuns sont la traduction d'une méditation contemplative, voire, comme pour le commissaire Xavier Rey, "la captation de l'énergie vitale des fleurs".
S'agissant du portrait, et si, de la posture romantique du peintre au pinceau en chemise blanche au gros plan fiévreux et introspectif, ses autoportraits, registre qu'il a abondamment pratiqué, s'avèrent placés sous un réalisme figuratif très expressif, rien de tel pour les portraits de tiers dits "intimistes" en qu'ils concernent les proches du peintre et notamment sa belle-famille, son épouse et sa soeur.
Ils répondent aux mêmes codes stylistiques d'une neutralité objective caractérisée par l'austérité tant des physionomies impassibles, portraits posés dans des attitudes figées dépourvues du souffle de vie et des tenues puritaines, la toilette des femmes ne découvrant aucune once de peau autres que celle du visage et des mains, que par la palette de noir-bruns assourdis, avec la disparition des quelques touches de couleur des premières toiles.
De même facture, ses quatre portraits de groupe - "Hommage à Delacroix", "Atelier aux Batignolles", "Un coin de table" et "Autour du piano" - vont lui valoir la considération de ses contemporains.
Dans ces toiles de grande dimension considérées comme des manifestes esthétiques sacralisant respectivement Delacroix, les Impressionnistes, les Parnassiens et les Wagnéristes, Fantin-Latour, raillé par le très caustique Edmond de Goncourt qui le qualifie de "distributeur de gloire aux génies de brasserie", retrace des événements fictifs.
En effet, ils résultent d'un assemblage de portraits posés individuels sans incarnation alors que Fantin-Latour y figure dans certains en prenant soin de s'y représenter de manière très différenciée dans une atttude d'artiste qui se singularise comme un intrus au regard de ce qui peut paraître une assemblée de bourgeois compassés.
La fin du parcours s'avère inattendue, twistée par une production marginale traitée dans la section "Fééries", césure radicale avec les précédentes, avec l'incursion de Fantin-Latour dans la scéne de genre et des peintures dites d'imagination", dont le pinceau, sous couvert de représentation mythtologique ("Ariane abandonnée"), d'allégorie symboliste ("La nui") ou d'illustration de wagnériennes scènes opératiques ("La Finale de la Walkyrie"),
s'aventure dans le nu féminin.
Et surtout, le discret "Enfer", avec des nus patents de baigneuses ("Au bord de la mer") et de femme lascive ("Le réveil") en regard de quelques photographies licencieuses d'époque dont Fantin-Latour était un collectionneur assidu puisque son fonds comportait au moins les 1500 pièces conservées au Musée de Grenoble et pudiquement évoqué dans le texte de salle comme un nécessaire répertoire de modèles pour "pour un homme pudique et exigeant tel que lui" et "en un temps
où il pouvait être difficile de trouver des modèles" vivants...
* dixit le peintre lui-même |