Réalisé par Alain Cavalier. France. Comédie dramatique. 1h34 (Sortie le 22 juin 2011). Avec Vincent Lindon, Alain Cavalier, Bernard Bureau, Jonathan Duong, Hubert-Ange Fumey, Jean-Pierre Lindon, Manuel Marty et Claude Uzan.
Le cinéma français aurait du mal à se passer de Vincent Lindon. Là où on ne l’attend jamais, investi de manière très physique dans chacun de ses rôles, il navigue d’un film à l’autre, infatiguable.
A l’inauguration du court cycle que la Cinémathèque française lui consacre du 31 mai au 7 juin 2017, Vincent Lindon a rendu hommage aux cinéastes qui l’entourent depuis des années : Claire Denis, Fred Jolivet, Benoît Jacquot… Du film social ("Welcome" de Philippe Lioret, "La Crise" de Coline Serreau, "La Loi du marché" de Stéphane Brizé) à l’incarnation historique (Charcot dans "Augustine" d’Alice Winocour), une filmographie variée, attachante.
Puisqu’on a parlé d’investissement, précisons également que Vincent Lindon a choisi quelques films qu’il aime - on recommandera surtout, pour ceux qui ne l’ont pas vu, "Boudu sauvé des eaux" de Jean Renoir, où Michel Simon incarne avec truculence un clochard qui dynamite un intérieur bourgeois - et qu’il devrait être là à chaque séance pour les présenter. On campe à la Cinémathèque, cette semaine ?
"Et si j’étais le Président, et vous mon Premier ministre" ? Tel est le jeu qu’Alain Cavalier propose à Vincent Lindon dans cette œuvre inclassable. Réflexion politique ?
Certes, le film dessine un enjeu : le Président Cavalier a besoin du ministre Lindon pour faire passer une loi sur la réglementation des salaires. Un projet qui se révèle bien compliqué à mettre en œuvre, et qui finit par provoquer la rupture entre les deux hommes.
Mais "Pater" est avant tout un film sur la relation qui se noue entre Alain Cavalier et Vincent Lindon, une belle réflexion méta-cinématographique pleine de malice (et de bonne nourriture, puisque saumon fumé et asperges, le tout arrosé de bon vin, sont également de la partie).
De l’appartement de Vincent Lindon à un faux Matignon, les lieux se mêlent ; l’intime et la fiction s’entrecroisent joyeusement : ainsi le fameux coup-de-gueule que lance l’acteur contre les agissements de son propriétaire, moment à la fois drôle et rageur. Cavalier comme Lindon se prennent au jeu, et l’acteur se prend à s’interroger sérieusement sur le sort de la France.
Dans un même temps, on retrouve des éléments qui ont fait la grâce des derniers films de Cavalier, ces instants dérobés au réel, des bouts de poèmes traqués dans le quotidien. C’est le plaisir de suivre les hésitations d’un chat passant une porte, de saisir, presque en voyeur, des images depuis la fenêtre, ou de détailler les mets fins dont se régalent les deux compères.
Le fil rouge de ce film hybride, où l’on ne sait jamais quand on joue et quand on ne joue pas, est illustré par une anecdote qui réside dans le film. Alain Cavalier assiste à une scène entre un barman et Vincent Lindon. Le barman raconte à ce dernier qu’il l’a laissé se tromper et l’appeler "Pierre" durant des années car ce prénom était celui de son père ; à cette histoire, Cavalier ajoute que le prénom de son père était aussi Pierre. Signe du destin, qui marque la complicité des deux hommes et met en évidence la question de la filiation annoncée d’ores et déjà par le titre.
Filiation qui existe au sein de l’histoire : le Président s’attache à son Premier ministre qui doit, quant à lui, apprendre à tuer le père pour s’affirmer. La relation entre le metteur en scène et son acteur n’est certes pas aussi violente. A partir de cette relation père-fils qui unit les deux hommes, d’autres pères apparaissent : celui d’Alain Cavalier, évoqué dans une séquence quasi psychanalytique où le cinéaste se regarde dans un miroir et y voit le reflet de son père.
"Pater" apparaît alors comme le récit d’une histoire d’amitié, qui est aussi une histoire de filiation. Le cinéaste n’hésite pas à laisser à Vincent Lindon la caméra, ce qui permet une alternance des points de vue. Des gestes de partage qui laissent le spectateur séduit. |