Second livre de cette rentrée littéraire pour moi et déjà une bonne pioche avec le dernier ouvrage d’Olivier Guez, La Disparition de Josef Mengele, paru aux éditions Grasset il y a quelques jours. Josef Mengele, "l’ange de la mort", fut médecin tortionnaire à Auschwitz pendant la seconde guerre mondiale.
"A l’époque, croiser son regard et lui adresser la parole étaient interdits ; même ses camarades de l’ordre noir avaient peur de lui. Sur la rampe où l’on triait les juifs d’Europe, il scellait le sort de ses victimes, à gauche la mort immédiate, les chambres à gaz, à droite la mort lente, les travaux forcés ou son laboratoire, le plus grand du monde, qu’il alimentait en "matériel humain adéquat" (nains, géants, estropiés, jumeaux) chaque jour à l’arrivée des convois. Injecter, mesurer, saigner ; découper, assassiner, autopsier ; à sa disposition, un zoo d’enfants cobayes afin de percer les mystères de la gémellité, de produire des surhommes et de rendre les allemandes plus fécondes pour peupler un jour de paysans soldats les territoires de l’Est arrachés aux Slaves et défendre la race nordique" nous précise Olivier Guez. "Gardien de la pureté de la race et alchimiste de l’homme nouveau : une formidable carrière universitaire et la reconnaissance du Reich victorieux le guettaient après guerre". Sauf que, la fin de l’Histoire fut tout autre… Et c’est l’objet du livre d’Olivier Guez.
L’auteur nous fait donc suivre la cavale de Joseph Mengele de 1939, jour où il débarque à Buenos Aires, jusqu’à 1979, lorsqu’il meurt mystérieusement sur une plage brésilienne. En 1939, l’Argentine de Peron est bienveillante, elle ouvre ses portes à des milliers de nazis, de fascistes et de collabos ; des soldats, des ingénieurs, des techniciens, des médecins invités à la doter de barrages, de missiles et de centrales nucléaires pour en faire une superpuissance. Buenos Aires devient en 1940 la capitale des rebuts de l’ordre noir déchu, une sorte de quatrième Reich fantôme composé de nostalgiques.
A travers son livre, Olivier Guez nous dresse le portrait psychologique de Mengele qui multipliera les identités tout au long de sa cavale (Helmut Gregor, Peter Hochbichler, Don Pedro le vieillard sur la fin) sous la forme d’un roman d’espionnage extrêmement précis, montrant comment "l’ange de la mort" a pu échapper à la justice internationale.
Livre passionnant et brillant (l’auteur a fait de nombreuses recherches sur le personnage), il nous décrit un être sans remords, gardant toujours la tête haute tout au long de sa cavale, multipliant sa haine raciste au jour le jour, toujours nostalgique de ses années nazies. Même face à son fils, Rolf qu’il retrouve à Genève et qu’il reverra à la fin de sa vie au Brésil, il se montre imperturbable quand celui-ci en vient à le questionner sur son rôle à Auschwitz. La conversation entre les deux est tout simplement hallucinante, l’un des meilleurs passages du livre pour moi. Les arguments donnés par Mengele pour justifier / expliquer ses actes à Auschwitz sont incroyables. Son fils, aujourd’hui avocat en Bavière, qui a pris le nom de sa femme ne le reverra plus après cette conversation.
Sa cavale est aussi ponctuée de nombreux rebondissements, de la chute de Peron qui le pousse à retourner en Europe (on y voit sa crainte de se rapprocher de ses poursuivants), de son retour ensuite en Argentine où il reprend sa vraie identité, condition pour pouvoir acheter une exploitation (rendu possible par le fait que très rapidement les américains traqueront les communistes et plus les anciens nazis), de son départ enfin vers l’Uruguay puis le Paraguay et le Brésil lorsque Eichmann et ceux qui le traquent (le Mossad) arrivent en Argentine. De sa réaction aussi lorsqu’il apprend la prise d’Eichmann puis sa mort. Lorsqu’il est contrarié, par une mauvaise nouvelle ou par sa femme, ses vieux reflexes de tortionnaire rejaillissent et il s’en prend à ses ouvriers sur son exploitation.
L’homme est traqué, l’étau se ressert souvent autour de lui mais il finit toujours par s’en sortir jusqu’à sa mort, mystérieuse, survenue au Brésil. De nombreux concours de circonstances lui permettent de ne jamais se faire prendre. Il est aussi parfaitement organisé et aussi beaucoup aidé. C’est l’occasion pour Olivier Guez de dénoncer les nombreux Etats Sud-Américains qui ont aidé cette cavale soit en fermant les yeux soit en assumant une complicité, sans oublier les USA qui ont aussi recyclé de nombreux criminels nazis pendant la guerre froide. Au final, sa course contre le temps (son vieillissement et sa déchéance physique ne sont pas oubliés par l’auteur) mais surtout ses déplacements pour échapper aux services secrets israéliens nous tiennent en haleine tout le long du livre.
Olivier Guez a fait le choix d’une écriture distanciée, impartiale, neutre et fidèle. Cela nous mène vers une plongée inouïe au cœur des ténèbres, dans cette cavale incroyable, nous faisant passer par différents sentiments, de la haine, du dégoût et de la jouissance aussi face à la déchéance de ce monstre. On se surprend à apprécier les moments où Mengele souffre, quand il a peur aussi, quand il est triste. Mengele est souvent malade, il a du mal à se faire soigner car il ne veut pas être repéré (l’épisode de l’occlusion intestinale est un régal), il fait souvent des cauchemars qui sont décrits par l’auteur de façon savoureuse aussi.
L’épilogue est fabuleux et conclut parfaitement bien ce très grand livre qu’il faut absolument lire. |