Comédie dramatique de Paul Claudel, mis en scène par Eric Vigner, avec Stanislas Nordey, Mathurin Voltz, Jutta Johanna Weiss et Alexandre Ruby.
"Partage de Midi" est certainement la pièce la plus sensuelle de Paul Claudel, la plus autobiographique aussi, puisqu'il puise dans une des grandes passions qu'il a vécues alors qu'il avait déjà une trentaine d'années et qu'il hésitait encore à rentrer dans les ordres.
"Partage de Midi", c'est au fond l'histoire d'un chrétien mystique soumis à la tentation d'enfin devenir un homme comme les autres.
Dans le premier acte, Mesa (Stanislas Nordey), qui pourrait être l'auteur, rencontre sur un bateau à destination de la Chine, Ysé (Jutta Johanna Weiss) en compagnie de son mari De Ciz (Mathurin Voltz). Est aussi présent Amalric (Alexandre Ruby), aventurier qui désire fortement Isé.
Ce quatuor constitue le carré de cette histoire brûlante, qu'on croirait sortie d'un "film colonial" à la française. Ceux qui connaissent mal Paul Claudel seront surpris de la trivialité de son récit. Ils auront deux heures cinquante pour s'y habituer. Si l'on forçait le trait, on est aussi quelque part dans un voyage initiatique où l'atmosphère au troisième acte sera totalement irrespirable. On imagine les personnages dans leurs vêtements moites, ruisselants de sueurs et bientôt de sang.
La passion amoureuse pour cette femme qu'au cinéma on qualifierait de "fatale" touche au moins deux des trois hommes. On voit clairement qu'Eric Vigner plonge peu à peu ses personnages dans un monde de plus en plus glauque, comme pour signifier combien l'amour charnel fait plonger Mesa dans un autre univers que celui de la diplomatie.
Cette Chine symbolisée par une projection de dragon sur le sol et par une statue de militaire géant "façon playmobil" devient de plus en plus poisseuse et vénéneuse. On se croirait presque dans le "Jardin des supplices" d'Octave Mirbeau, voire dans un décor hollywoodien avant l'arrivée des seigneurs de guerre, genre "The bitter tea of General Yen", ce chef d'oeuvre de Frank Capra, lui aussi auteur chrétien que la Chine pousse vers un récit plus torride que d'ordinaire.
Mais pour que la passion explose et explique pourquoi la déraison amoureuse l'emporte sur la bienséance chrétienne, il faut que les acteurs soient autant en fusion que le texte et le contexte. C'est un peu, malheureusement, la faiblesse de cette version du "Partage de midi" où l'on ne sent pas assez l'emprise de la passion sur les personnages et notamment dans le couple "vedette" Mesa-Ysé.
Si en amant baroudeur poussé par la fatalité, Alexandre Ruby est convaincant dans le rôle d'Amalric, quelque chose bloque dans la relation du héros et de sa bien-aimée. Stanislas Nordey est normalement monolithique dans son rôle d'homme qui peine à s'éloigner de son rigorisme mystique pour découvrir les affres et les souffrances de la chair, mais sa partenaire semble trop froide à ses appels, presque indifférente et déjà lointaine à tout le désespoir qu'elle engendre. On a l'impression d'être devant une grande amoureuse qui a séduit les trois hommes et qui ayant fait le "job" s'en désintéresse.
Bref, elle ne "brûle pas", elle ne se "consume pas" et elle contribue à faire perdre le sens de la tragédie qu'on aurait aimé ressentir. Dès lors, restent en tête un très beau décor, une promesse jamais tenue de sentiments exacerbés pour un final de "mélo flamboyant" et beaucoup de temps perdu à attendre un embrasement qui ne viendra jamais. |