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Le Fil  (Saint-Etienne)  samedi 16 février 2013

Souvent encore, sur le minuit lugubre, lorsque que je médite, faible et fatigué, sur maint curieux articles en cours, pendant que je dodeline du chef et dérive lentement vers de paisibles pensées, approchant enfin ce sommeil qui me fuit, je les entends, lointains d’abord puis se rapprochant, je les entends pareils aux croassements, ces rires d’épouvante, invincibles et pourtant morts, inhumains. Alors pour conjurer le sort, comme pour dessiner la bête qui me ronge afin de mieux la surveiller, jusqu’à épuisement je réécris cette abominable histoire qui, aujourd’hui encore, me poursuit et dévore mes dernières années.

A l’époque des faits, j’étais alors un jeune homme curieux et optimiste qui, bercé de science et de progrès, vouait une confiance absolue en ce siècle et sa raison.

J’avais fait de l’enquête artistique ma spécialité, et mon nom, malgré la petitesse de mon âge, évoquait immanquablement dans notre société journalistique, des sentiments de respect et d’admiration ordinairement réservés à nos vénérables maîtres, quoique bien souvent il est vrai, davantage pour leur ancienneté que pour leurs mérites. Loin de m’en enorgueillir, j’en faisais tout à la fois ma croix, ma responsabilité et ma récompense.

C’est ainsi que de coups d’éclat en jusqu’au-boutismes, je m’enfonçais dans mon intransigeance, jusqu’aux extrémités souterraines du monde du spectacle. L’univers de la nuit n’avait plus aucun secret pour moi, les dompteurs de charognards comptaient parmi mes amis intimes, les femmes à barbes appréciaient ma compagnie, les géants plébiscitaient mon opinion sur l’ordre des choses, quant aux nains unijambistes joueurs de saxophones et aux siamois solistes, j’avais participé grandement à leur popularité en cet hiver qui vit ma dernière enquête.

J’avais payé cher à un intermédiaire peu recommandable, quelques informations concernant une troupe inconnue de la surface, un spectacle étrange dont quasiment personne ne connaissait l’existence et dont ceux qui pouvait en parler, préféraient disparaître plutôt que d’en fournir le plus petit détail.

Mon expérience du milieu et quelques procédés douteux m’avaient permis de découvrir le lieu recherché et moyennant une somme d’argent conséquente et quelques promesses peu ragoutantes, je pus être introduit à une représentation du Zombie Circus Show.

La scène, comme une tombe entrouverte, laissait envoler des volutes de poussière, libérée par la horde de musiciens qui grouillaient en cadence.

Sous la lumière douteuse des candélabres mutilés, les rideaux de velours rouge entouraient la formation et nous renvoyaient la musique puissante, noire, aux cuivres oxydés. Au milieu, un être s’exhibait ostensiblement. Il était le meneur et le public tour à tour. Le spectacle était autant de lui, avec lui, que pour lui.

C’est lorsque le premier coup de feu, pour punir l’inattention du pianiste, fût tiré de sa main, que trop tard je compris que j’étais allé trop loin ; j’avais franchi le Rubicon et cette enquête était celle de trop.

Mon extrémisme, ma course à l’exclusivité m’avait fait perdre tout sens de la norme, je ne maitrisais plus rien, j’étais entouré de fous.

Hélas, ô combien hélas, ce n’était pas le cas, et je comprendrais bien vite, à mon grand regret, que j’étais le seul fou présent, les êtres qui m’observaient ne pouvaient être affublés d’aucun qualificatif propre à l’humain, même le plus détestable, tant ils étaient des monstres, des chimères, des horreurs.

Le chef de meute était un dictateur fou, sanguinaire qui régnait sur ses créatures avec cruauté et sadisme et bien avant que j’eusse le moindre sursaut défensif, j’étais déjà sans le savoir, devenu sa chose, sa nouvelle attraction.

A partir de cet instant, tout m’échappa, les notions même de temps, de vérité, d’identité me furent confisquées, tandis que, prisonnier, j’assistai aux représentations mégalomaniaques de ce bourreau irascible. Les repoussants valets sans vie exécutaient danses et musiques, tandis que s’organisait la vie, ou plutôt non-vie, du maître des lieux et de ses serviteurs. Contrebasse, guitares, cuivres, percussions, chants, résonnaient funèbrement pour accompagner les gestes de mon tortionnaire.

J’étais prisonnier, je ne vivais plus, j’étais au milieu de cette faune morte et repoussante. Mon geôlier était le factotum cannibale de son altesse et régulièrement, il s’acquittait de ses missions sans état d’âme, avalant un sabre, semant la mort, récoltant la chair, qu’il consommait avec l’appétit d’un ogre.

Aujourd’hui, bien que les années et ma mémoire aient conjointement œuvré à réécrire et réorganiser les souvenirs pour rendre racontable l’impossible, je ne peux me rappeler précisément, je ne peux définir ni chronologie, ni une logique véritable, à tous ces évènements.

Je me souviens par contre très bien du choc à l’occasion de ma seule prise de conscience.

Régulièrement, du moins je le crois, pour le plaisir du maître, mes séances de torture étaient intégrées au spectacle et ajoutaient ainsi, au gré de mes réactions aux supplices, un élément aléatoire qui pouvait rompre, aux yeux du maître, la monotonie des représentations.

Quels ne furent pas ma surprise et mon dégoût, quand je compris que ces séances poursuivaient un autre but bien plus pervers !

Plus les séances passaient, plus mon corps se détériorait, bien sûr, mais un processus bien plus grave était à l’œuvre, mon esprit s’abimait, mon âme se salissait.

Lorsque, dans le reflet d‘un cuivre, j’aperçu mon visage pour la première fois depuis ma mise en captivité, je saisis l’horreur de la situation : je ne subissais plus la torture en scène, je faisais partie de la représentation, je n’endurais plus l’horreur, je la dispensais ; je devenais à mon tour un monstre, et tout comme eux j’attendais mon numéro pour obéir au maître, comme eux j’attendais la torture pour exister.

Comme eux jadis, je souhaitais la mort pour mieux revivre.

"Votre monde est d’enfer, ça plait à mort !" Plus mort que vivant je prenais part aux chants, aux danses et aux expériences. Entre jeux du cirque et sacrifice vaudou, nous exécutions les pires bassesses masochistes pour ce seigneur arrogant.

Avec le recul, cela m’épouvante de me souvenir que l’ignominie venait de nous, que la noirceur était en nous. Ah, que la douleur et la peine de la victime que j’étais dans les premiers temps de ma détention avaient été rassurantes et précieuses ! Nous étions devenus ses pantins, ses serviteurs prêts à tout pour lui, mais nous étions aussi ses complices, les acteurs d’un système infernal imaginé pour nous. Déjà morts, nous tuions pour un habit de lumière, nous assassinions pour vivre le spectacle.

Cracheurs de feu, avaleurs de sabre, fakirs demeurés, concurrençaient danseuses, musiciens et trapézistes dans la course macabre à la célébrité d’outre-tombe.

Le seigneur des lieux faisait montre d’incroyables talents pour pousser à l’extrême sa perversion dans les ordres qu’il nous adressait. Mais pour la seconde fois de ce récit, l’excès condamna l’outrecuidance de l’excessif, et c’est en dépassant une limite ignorée que le maître causa sa perte et indirectement mon supplice éternel : ma libération.

Plus vraiment vivant, mais pas encore complétement d’au-delà, j’évoluais dans un monde cotonneux, faisandé lorsque j’ai assisté à l’ultime expérience scénique du maître.

Par un processus satanique incompréhensible, il commandait à la mort d’enfanter et de donner la vie, pour le simple plaisir de pouvoir l’étouffer dans l’œuf. Et il a suffi de cet insignifiant souffle de vie, d’un souffle de vie atrophié, défaillant, difforme mais vivant, pleinement vivant, pour tout déséquilibrer, et lorsque le maître a levé la main sur l’irradiante existence, ce geste anodin, habituel, ce geste, mille fois supporté, mis le feu aux poudres et sonna l’heure de la révolte.

Je ne saurai dire ce qu’il s’est passé alors. Entre deux mondes je voyais comme au travers de voiles de fumées blanches, les zombies sortir de leur léthargie et s’activer méchamment. Le seigneur avait martelé de sa folie le spectacle jusqu’à finir accroché à son clou. Sa mort sur les planches marqua sa plus belle réussite et sa décapitation sans procès le transforma à n’en pas douter, pour des siècles et des siècles, en incontournable tête d’affiche.

Je n’ai aujourd’hui pas même le réconfort d’avoir participé à ce renversement. Je ne me suis pas battu, je ne me suis pas échappé, je me suis retrouvé seul, libre, sans savoir où j’étais, ne me souvenant qu’à peine de qui j’étais. Je ne revois que la troupe de monstres émancipée, s’éloignant au grand jour, partie vendre leur spectacle infâme aux quatre coins du pays, remplir leur rangs d’otages torturés et répandre leur danse macabre dans nos villes et campagnes. Depuis toutes ces années, leur percées continuent, je les fuis et alerte, mais leurs rangs grossissent et l’étau se resserre.

Vous qui lisez ces lignes, prenez au sérieux cet avertissement, gardez-vous bien de fréquenter les salles de spectacles et lieux culturels, les monstres sont en tournée, ils vous observent et vous attendent… Soyez prudents… le spectacle vivant est un danger mortel !

Quant à moi, mon sort est scellé, j’alerte et je témoigne pour l’avenir de mes frères humains mais mon histoire est sans issue.

Dorénavant, les nuits je me terre et chaque jour me trouve arrangeant en vain et sans espoir, ma fuite perpétuelle, remplissant de mots et de lettres une existence vidée, attendant sans bravoure la prochaine peur, imminente.

Peur de mon ombre projetée sur le plancher, peur du bruissement de mes étoffes lorsque je m’assieds, peur du gémissement de mon souffle lorsque je me redresse. Je les entends ; et mon âme, cette âme ligotée par l’effroi, pauvre âme à jamais prisonnière, malgré ce corps libéré en son temps, ne pourra plus s’élever, — jamais plus !

 

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Crédit photos : Cyril Hortala / Nicolas Monchauvet


Cyril Hortala         
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# 12 mai 2024 : Après les ponts vient la pluie

Un printemps décidément capricieux mais quelques jours de beau temps avant un nouveau déluge. Ici c'est un déluge de musique, spectacles ou livres qui nous attend.
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Du côté de la musique :

"Following the sun" de Alexis Valet
"Batist & the 73'" de Batist & The 73'
"El magnifico" de Ed Harcourt
"Big anonymous" de El Perro Del Mar
Petit coup d'oeil sur le Festival Paysage Pop #2
"Until now" de Gabriel Pierre
"A kingdom in a cul-de-sac" de Ha The Unclear
"Dysphorie" de Intrusive Thoughts
"Family affair" de Kokopeli
"La balade sauvage" de Nicolas Paugam
"Korzéam" de Thibaut Wolf
"Folk tales of today" de Two Magnets
et toujours :
nouvel épisode du Morceau Caché intitulé "Session de rattrapage 6"
"Le souffle de l'Hybris" de AA & Les Oneiroi
"Murmuration" de Darius
"Creatures lies" de Isolation
"On ne sait jamais" de Jéhan
"Newcastle" de Prudence Hgl
"Colliding spaces" de The Everminds
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Au théâtre :

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"L'affaire Rosalind Franklin" au Théâtre de la Reine Blanche
"Un mari idéal" au Théâtre Clavel
"Chère insaisissable" au Théâtre Le Lucernaire
"La loi du marcheur" au Théâtre de la Bastille
"Le jeu des ombres" au Théâtre des Bouffes du Nord
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"Capharnaüm, poème théâtral" au Théâtre de la Cité Internationale
"Jean Baptiste, Madeleine, Armande et les autres" au Théâtre Gérard Philipe
"Majola" au Théâtre Essaïon
"Mon pote" au Théâtre de la Manufacture des Abbesses
"Tout l'or du monde" au Théâtre Clavel
"Dans ton coeur" au Théâtre du Rond Point
"Du pain et des jeux" au Théâtre 13 Bibliothèque
"Vernon Subutex" au Théâtre des 2 Rives
"37 heures" au Théâtre la Flèche
"Fantasmes" au Théâtre La Croisée des Chemins
des reprises :
"Rembrant sous l'escalier" au Théâtre Essaion
"Le chef d'oeuvre inconnu" au Théâtre Essaion
"Darius" au Théâtre Le Lucernaire
"Rimbaud cavalcades" au Théâtre Essaion
"La peur" au Théâtre La Scala

Une exposition à la Halle Saint Pierre : "L'esprit Singulier"

Du cinéma avec :

"Roqya" de Saïd Belktibia

"L'esprit Coubertin" de Jérémie Sein
et toujours :
"Le déserteur" de Dani Rosenberg
"Marilu" de Sandrine Dumas
"Que notre joie demeure" de Cheyenne-Marie Carron
"Amal" de Jawad Rhalib
"L'île" de Damien Manivel
"Le naméssime" de Xavier Bélony Mussel
"Yurt" de Nehir Tuna
"Le squelette de Madame Morales" de Rogelio A. Gonzalez

Lecture avec :

"De sable et d'acier" de Peter Caddick-Adams
"Je ne suis pas un héros" de Eric Ambler
"Après minuit" de Gillian McAllister

"C'était mon chef" de Christa Schroeder
"L'embrasement" de Michel Goya
"Nouvelle histoire d'Athènes" de Nicolas Simon

"Hervé le Corre, mélancolie révolutionnaire" de Yvan Robin
"Dans le battant des lames"' de Vincent Constantin
"L'heure du retour" de Christopher M. Wood
"Prendre son souffle" de Geneviève Jannelle
et toujours :
"L'origine des larmes" de Jean-Paul Dubois
"Mort d'un libraire" de Alice Slater
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