Si Michel Houellebecq est souvent décrit, ou décrié, comme l’écrivain du quotidien, Kurt Wagner en est peut-être l’alter ego musical.
La science des vertiges simples et routiniers, la poésie des choses communes. Et ce huitième album, Damaged, ne fait que confirmer que le bonheur et l’autosatisfaction ne font pas partie du vocabulaire de Lambchop, ce groupe à géométrie variable.
Comment, pourquoi, dans quel but, composer "Paperback bible" en introduction, chanter le consumérisme ambiant, avec cette voix distancée et profonde…
Rares sont les artistes à la sincérité si troublante, avec cette octave qui pénètre la chair. Le titre de l’album, Damaged, en soi porte l’essence même des compositions. L’impression d’une barque heurtée par les flots et les marées, ayant trop souffert sur sa coque, toujours debout mais amochée, prête à reprendre le large en dépit des souffrances.
La chanson piano bar "Prepared (2)", marque d’entrée la nuance blanc-gris de l’album, très influencée par Tindersticks et Stuart Staples, le même trémolo dans la voix, les mêmes arrangements, les violons qui tourbillonnent en sourdine, prêt à envelopper l’auditeur dans la bulle ouatée de Kurt Wagner.
De la pop sous prozac. L’univers de Lamchop n’a peut-être jamais été aussi intimiste, prêt de son audience. eA day without glassese sonne le réveil avec sa guitare en reverb’, jamais trop forte, son pont sublime fait de piano et de cordes tirées à leurs extrémités, et Kurt Wagner, indéniablement, semble au mieux de sa forme dans le marasme et la dépression.
Bien évidemment, l’auditeur perdra une grande partie du plaisir s’il ne saisit pas la nuance des paroles de Wagner, sa passion du détail et des phrases en clair-obscur. Resteront alors les mélodies sublimes et condensées ("I would have waited here all day") pour se consoler.
Damaged, s’il est une réussite, reste surtout une œuvre indémodable, pouvant sûrement être réécoutée en 2015 sans rougir de "ce qu’on écoutait à l’époque". Une bande-son d’une nuit, d’une heure peut-être, mais une musique touchante marquée par des apogées en basse altitude, "Crackers" et la voix de Kurt mixée très en avant.
Une nuit qui se finirait par un "The decline of country and western civilization", un dernier aveu sur accords plaqués avant la fin de l’ancien monde.
|