One woman show écrit et interprété par Audrey Vernon.
Sur quelques notes cha cha de "Sway with me", Audrey Vernon arrive sur scène dans sa petite robe rouge et ses hauts talons. A part cette petite robe rouge, elle n'a, heureusement, rien en commun avec Anne Roumanoff.
Car, elle, Audrey, lit les philosophes matérialistes allemands dans le texte et connaît plus le 19ème siècle que les bistrots du 19ème arrondissement.
Elle a sous-titré "One Marx Show" son spectacle "Marx et Jenny" et elle a très bien fait. Ce biopic efficace qu'elle joue depuis 2012 conte les quarante ans d'histoire commune entre Karl et sa femme, Jenny von Westphalen. Sans oublier l'ami très fidèle Friedrich Engels et la bonne Helene Demuth avec qui Karl ne sera pas très fidèle à Jenny.
Pleine d'humour et de fausse naïveté, ne se permettant que quelques anachronismes et une seule intervention post-mortem du fondateur du communisme, Audrey Vernon a travaillé très sérieusement sa matière. Si l'on reprend son texte sans y mettre les touches d'émotion dont elle sait le parsemer, on a une conférence d'un très bon niveau sur Marx, son temps et sa famille, qui ne sent pas son wikipédia.
Elle a trouvé le ton juste pour transformer un intellectuel perçu comme froid et calculateur par ses ennemis de la 1ère Internationale en un être humain frappé plus que de raison par le malheur, en un être aimant une femme admirable.
Le portrait qu'elle dresse de Jenny transformerait en féministe n'importe quel intégriste. La litanie des enfants perdus par les Marx suffirait en elle-même pour décrire cette misère qu'ils ont subie pour que Karl puisse aller jusqu'au bout de ses convictions et écrire son maître-ouvrage.
Ce que réalise Audrey Vernon dans "Marx et Jenny" est un sacré tour de force : intéresser un large public ne connaissant pas forcément grand-chose sur l'homme qui a rédigé "Das Kapital" et permettre à ceux qui ne le portent pas dans leur cœur d'au moins comprendre pourquoi et comment il a donné sa légitimité à l'idéal d'une grande partie de l'humanité des deux siècles passés.
En plus, Audrey Vernon n'assomme pas ses spectateurs avec son sujet. Elle boucle la boucle sur quelques notes cha cha de "Sway with me". Dean Martin n'était pas communiste, ce n'est même pas nécessaire de le préciser, mais sa voix de velours est peut-être ce qui a manqué pour réussir à cette utopie qu'Audrey Vernon raconte avec brio et grâce. |