Texte
de Bernard-Marie Koltès, mise en scène de Chloé
Bernadoux, avec Chloé Bernadoux et Leslie Auguste.
Chloé Bernadoux s'est lancée dans une entreprise
ambitieuse et hardie en choisissant de monter un spectacle à
partir d'un texte fragmentaire, resté inachevé,
de Bernard-Marie Koltès, consacré aux dernières
heures de Mademoiselle Chanel.
Trois scènes pour bâtir une étrange chronique
de la mort imminente d'un personnage légendaire d'une
véritable success story, figure adulée du gotha
culturel et artistique du Paris des années folles.
Et elle réussit parfaitement son pari en donnant du
sens à ces bribes textuelles à partir d'une belle
scénographie, avec cette myriade de verres symbole des
festivités de la vie sur lesquels s'accroche le rouge
à lèvres, les mégots de cigarettes de la
vie consumée et l'auvent de vêtements suspendus,
une dramaturgie judicieuse et efficace, et une dilution du temps
qui crée une atmosphère lynchéenne.
"Coco", nonagénaire qui s'éteint de
consomption, recluse, isolée, esseulée, abandonnée,
est redevenue une femme ordinaire qui, même si elle se
déverse en imprécations, ne commande plus sur
rien ni sur personne, même pas sur sa domestique qui constitue
sa dernière image du monde et son ultime témoin
de l'attente dans l'antichambre de la camarde.
Et pourtant entre elles s'est nouée une étrange
et ambigüe relation, qui repose sur une fascination sans
doute réciproque, dans un espace-temps insolite, comme
suspendu, au cours duquel se joue, se déjoue et se dénoue
un rituel entre deux figures diffractées qui n'ont de
sens que par leur opposition en miroir.
Un huis-clos qui tient autant de l'opposition dans le couple
maître-valet que du lien qui s'est crée et qui
repose sur le désir, un désir cruel qui sous-tend
la relation à l'autre qui est toujours une relation marchande
reposant sur la confrontation et les jeux de la séduction.
Avec la mort, autant de thématiques récurrentes
chez Koltès.
Chloé Bernadoux, qui joue
également le rôle titre - une Coco exsangue à
qui il ne reste plus que la parole et les mots - accomplit en
compagnie de Leslie Auguste, à
l abeauté fascinante et à la superbe interprétation
du rôle de l'écarlate femme-fleur de chambre, un
travail remarquable, et donc forcément prometteur, pour
composer une tragi-comédie qui entraîne le spectateur
dans la traversée d'une longue nuit, "the cold coco
night" accompagnée de la musique des White Stripes. |