Monologue dramatique d'après le roman éponyme de Octave Mirbeau conçu et mis en scène par Nicolas Luquin, dit par Isabelle Hollensett.
Nicolas Luquin propose un excellent travail de transposition théâtrale du roman de Octave Mirbeau, "Le Journal d'une femme de chambre", roman pamphlétaire extrêmement virulent trop souvent réduit à une galerie de caricatures à la Daumier prêtant au rire ou à des épisodes un peu lestes tel celui des fameuses bottines jaunes.
En effet, son adaptation rend compte du propos de Mirbeau qui tient, par le biais de l'analyse de la condition ancillaire et du témoignage direct et privilégié du personnel domestique sur les turpitudes déployées dans les coulisses des nantis et des parvenus, à la dénonciation du cynisme, de la cruauté et de la perversion de la classe dominante du 19ème siècle qu'est la bourgeoisie.
Imprécateur politique, Mirbeau la décrit comme une figure du mal d'autant plus dangereuse et pernicieuse que son comportement indigne agit comme un instrument particulièrement contagieux de brouillage des valeurs opérant une véritable contamination sociale.
Lucide et douloureuse, dotée d'une conscience de classe, Célestine, femme de chambre bonne à tout et à tous, ressent sa condition de domestique comme une forme d'esclavage propre à susciter "une révolte engendreuse de haine".
Elle recense les dépravations des "maîtres" - "leurs tares, leurs bosses morales, les plaies secrètes de leur existence, tout ce que peut contenir d'infamies et de rêves ignobles le cerveau respectable des honnêtes gens" - dont la recension dans son journal qui lui sert d'exutoire constitue "la revanche la plus précieuse de nos humiliations".
Prisonnière de ses contradictions entre la haine générée par l'exploitation et le dégoût pour leurs "sales âmes" et "l'encens de l'admiration" suscitée par le "riche", ambiguité consubstantielle et intemporelle aux classes défavorisées ou opprimées, elle est également consciente de la métamorphose monstrueuse subie par le domestique qui "du peuple qu'il a renié, il a perdu le sang généreux et la force naïve, de la bourgeoisie, il a gagné les vices honteux, sans avoir pu acquérir les moyens de les satisfaire".
Avec une grande rigueur dans sa mise en scène, Nicolas Luquin donne tout cela à entendre dans une partition sans faille délivrée de belle et exemplaire manière par Isabelle Hollenset.
Avec un jeu incarné et sans excès de démonstrativité, elle maîtrise l'exercice difficile du monologue et restitue parfaitement les tensions internes du personnage aux prises avec une inextricable nausée existentielle. |