Comédie dramatique de Bernard-Marie Koltès, mise en scène de Kristian Frédric, avec Xavier Gallais et Ivan Morane.
Trois décennies après son écriture, "Dans la solitude des champs de coton", un des opus majeurs de Bernard-Marie Koltès traitant, par voie métaphorique avec l'échange mercantile des rapports entre les hommes basés sur un désir jamais assouvi, continue de susciter l'intérêt et la fascination des metteurs en scène.
Tel en l'occurrence, Kristian Frédric qui opère en rupture avec la contemporanéité en procédant à l'hybridation de trois ancrages temporels, celui de la tragédie antique par une dramaturgie hiératique et esthétisante, de la mystique biblique avec des ajouts textuels sous forme d'inserts en langue sémitique et de la dystopie post-apocalyptique avec la scénographie confiée au dessinateur Enki Bilal.
Ainsi, traversé de lugubres sons et de grondements et plongé dans des ténèbres d'outre-tombe, le plateau revêt l'aspect d'un no man's land carbonisé par une éruption volcanique ou une déflagration atomique avec au centre un amas de chaussures qui évoque un des éléments - une pyramide de vêtements usagés représentant la mise à mort de masse en référence avec 'Holocauste - de l'installation "Personnes" de Christian Boltanski.
De manière inattendue et sans doute pour privilégier la tension et les enjeux de la joute verbale entre le marchand et le client, Kristian Frédric opte pour un rythme extrêmement lent, avec de brèves séquences à la gestuelle chorégraphiée s'achevant en mode arrêt sur image, qui distend la dynamique de la partition conversationnelle pour la nover en oratorio dramatique voire en requiem pour une Humanité déchue.
Au jeu, il dirige en contrepoint deux comédiens aguerris pour incarner la dialectique koltésienne du tragique existentiel qui interviennent dans des registres différents.
L'expressionisme pour Xavier Galais, qui interprète le client enchaîné à un désir polysémique au fil de son inexorable destin matérialisé par son pied encastré dans un rail, et l'emphase pour Ivan Morane en charge du rôle du vendeur, l'homme en noir, crâne chauve, visage et torse recouvert de tatouages ésotériques en résonance avec la physionomie récurrente de certains personnages d'Enki Bilal qui signe les costumes.
Un spectacle singulier aux partis pris affirmés et donc inévitablement clivant. |