Drame de Thomas Vinterberg, mise en scène de Daniel Benoin, avec Pierre Cassignard, Paul Chariéras, Mélanie Doutey, Dominique Labourier, Samuel Le Bihan, Mathilda May et Caroline Proust.
"Festen", le film-choc de Thomas Vinterberg, a marqué les esprits à la fin du siècle dernier. Pamphlet contre la famille, ses silences, ses compromissions, éloge de la vérité délatrice et sensationnelle, cette oeuvre sentait le soufre, à l'image des membres de "Dogme 95" ce label d'insolence et d'anti-conformisme garantis.
La pièce montée au Rond-Point sous le titre "L'Enterrement", sorte de "Festen II, le retour", aborde les mêmes thèmes, au moment de la mort du Pater familias honni et coupable, mort en tombant d'une échelle.
Le fils abusé, Christian, a épousé la femme de chambre de l'hôtel familial et survit mal avec les blessures de son enfance. Le reste de la famille a oublié que c'est par lui que le scandale est arrivé.
La mère est gaie. Le frère, flanqué d'une nouvelle maîtresse, a tourné la page : son jeune fils (qui a peur des églises), d'un autre lit, les accompagne. Enfin, la soeur hystérique, dépendante au portable, éructe et grince. Cette famille en lambeaux assiste aux obsèques, calmement, en apparence.
Au souper, on boit, trop, on se lâche et l'amertume remonte à la surface, tandis que les pulsions les plus diverses grouillent sur la table comme une autre décomposition.
Ce texte, parfait témoin de la Culture de mort qui domine la société contemporaine, avec le nouveau puritanisme, le culte de l'enfant-innocent, mis sous cloche pour une admiration morbide, la haine du pédéraste qui permet l'absolution de l'homosexuel, la violence entre les sexes, "ennemis" depuis Strindberg, le démembrement de la famille, apporte un courant d'air glacé venu du Nord, polaire, un vent de morgue aérée, terrifiant témoignage sur notre temps, où les protagonistes égarés passent de la dépression à la violence sanglante, de la rétention à la dénonciation jamais spontanée.
Les comédiens sont tout simplement époustouflants. Samuel Le Bihan, vrai grand du Théâtre, incarne un frère viril, brutal et déboussolé, très touchant de réalité, avec une intensité vitale bouleversante.
Pierre Cassignard est le frère victime du père, impuissant, obsédé, hanté par son enfance, excellent d'émotion est de naturel. Dominique Labourier, en mère lénifiante, assouplissante, est remarquable et fait songer, à ses moments inquiétants, à l'Ingrid Thulin des Damnés.
Mathilda May, à contre-emploi - la biche devient hyène - montre ses vrais talents de comédienne, étonnante, dérangeante et frénétique. Ménanie Doutey et Caroline Proust, plus classiques, incarnent des compagnes débordées. Le domestique zélé, Pierre Chariéras, est excellent, terrible, âme damnée de la famille.
Enfin, le Diable, le Père, l'Ogre, le Monstre, c'est François Marthouret, démon et possédé, inhumain, déshumanisé, qui hante encore ses enfants par le truchement d'une vidéo hallucinatoire.
La mise en scène de Daniel Benoin jouit des derniers perfectionnements de la technique et de moyens évidents.
Un spectacle de vrai théâtre, puisqu'il y a de vrais comédiens, un miroir hideux de nos phantasmes et de nos recherches de pureté par la destruction, avec, de nouveau, de vrais méchants et de vrais agneaux, comme dans les contes de l'enfance. |