Rakia, la confirmation
De l’heureux hasard qui me fit rencontrer Rakia aux Francofolies de La Rochelle, en juillet dernier, et du coup de cœur musical qui s’en suivit, j’ai voulu voir ce qu’il en restait si je la retrouvais dans Paris, loin de tout esprit de voyage. C’est dans une salle de concert-restaurant que le rendez-vous était donné, le 26 septembre à La Bellevilloise de Ménilmontant. De prime abord, le cadre chaleureux invitait là aussi et à sa manière au dépaysement : un décor de guinguette dans les arbres (et inversement, des arbres dans une guinguette : à l’intérieur vous mangez en entourant de vrais oliviers) avec un mobilier mêlant cuirs, bois, velours ou métaux venus d’un autre âge. Des lumières indirectes artificielles tutoient une verrière qui invite à une certaine "respiration", mi-chlorophylle, mi-stellaire.
La scène n’est pas vraiment en hauteur, tout au plus celle d’une marche. Le public est avant tout venu rejoindre des amis pour boire un verre ou se restaurer. Il est donc là pour échanger avec son voisin, remplir son ventre de douceurs salées ou sucrés, au mieux avec un "fond" musical qu’il aura choisi d’écouter ou d’entendre.
Pas de rampe de spotlight, pas de régie et ingé son, ou du moins pas en apparence, pas d’enceintes volumineuses desquelles me rapprocher (d’ordinaire, j’aime bien me tuer les tympans et faire exploser mes cellules quand la musique me parle directement !). Le "live" semble vouloir être livré ici, brut de brut, avec une guitare posée au sol et un simple micro sur pied… de "l’acoustique" sans doute, pour ceux qui parleraient "professionnel de la profession" !
Pour l’artiste qui se produit, c’est les yeux dans les yeux et le public qu’il soit attentif ou non ne peut pas être ignoré car il n’est pas plongé dans l’obscurité. Il faut l’affronter de face et de bout en bout.
Au moment où Rakia arrive sur "scène" et se saisit de sa guitare, il y aurait fort à parier qu’à peu près 20% de la clientèle a remarqué que quelque chose était en train de se passer… Le set débute à 20h45 dans la douceur avec le titre "Honey". La douceur est bien côté scène, côté salle c’est plutôt percussions de couverts et tintements de verres, solos de voix entremêlées ponctuées de quelques rires ou exclamations sans aucun lien direct avec l’artiste qui joue déjà son troisième morceau.
Rakia demande du retour pour entendre sa voix mais sans succès apparent… La demoiselle ne se décourage pas. Elle est bien présente, au milieu de cette foule bruyante. Entre chaque titre, la petite Normande (originaire de Caen) monte à l’abordage, invective cet océan de trouble indifférence, parle de sa vie, de ce qu’elle met dans ses chansons et "si ça ne vous intéresse pas et bien tant pis pour vous !". Elle n’est pas là pour ramer en toute indifférence, loin de là. Elle est venue pour conquérir une Terre, ça se ressent, ça se voit, bien décidée à embarquer avec elle tous ceux qui se montreront suffisamment réceptifs : et ça fonctionne ! Les premières notes de son titre "La Chaleur" se font plus fortes, plus percutantes et il semblerait dès lors que plusieurs moussaillons aient envie de participer au voyage… des mains battent maintenant la mesure, jouant les percussions absentes mais complices, presque parfaites, d’un morceau qui les vaut bien.
S’enchaînent : "Sun", "Distorting Glass", comme des prophéties venues s’imposer dès lors. L’anglais se mélange au français, particularité troublante de cette auteur-compositeur-interprète, mais les sourires affichés parlent tous la même langue et le cœur semble avoir pris le pas sur l’estomac des convives transformés en un auditoire attentif et investi.
C’est alors "Among the crowd"… un clin d’œil qui tombe à point nommé, puis "Face à Vous" et enfin "Songes"… tout un concert qui tient bon la barre et le vent, attrape tous les éléments dans sa course pour nous emmener sur une "voix" plus que mature, qui raconte une histoire à elle toute seule, vers une lumière et une profondeur qui nous ouvre à un univers hors du commun. Quelle leçon !
De mémoire de Bellevillois, il n’y eut pas souvent de "rappel" dans cette salle et pourtant, ce soir Rakia dût revenir pour interpréter "La Chaleur" ! Je pense qu’elle a tout donné et je pense que tout a été bien reçu : en tous cas, elle nous a embarqué sans port, sans bateau, sans vague, juste avec sa guitare, sa voix et son sourire.
Merci Rakia pour ce deuxième voyage. Vivement le prochain !
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